« Les communs fonciers peuvent servir de modèle pour relever les défis écologiques »
28 août 2021
Collectif
Un collectif de personnalités, dont les anciennes ministres Delphine Batho et Corinne Lepage, souligne, dans une tribune au « Monde », l’apport des biens communaux et regrette que de récents textes de loi tendent à les éliminer.
Tribune. Les biens communaux sont des formes originales de possession foncière au croisement du droit privé, du droit public, de l’individuel et du collectif. En France, dans chaque système (par exemple, sections de commune, consortages, bourgeoisies, etc.) des droits d’usage ou de jouissance des biens sont détenus par des ayants droit, sans que ceux-ci soient titulaires d’un droit de propriété.
Le nombre de biens communaux reste élevé en France, nonobstant l’absence de statistiques officielles. Par exemple, les sections de commune, l’un des plus importants propriétaires fonciers, sont nombreuses (environ 26 000). Ce système de propriété représente un patrimoine important (forêts, terres agricoles et pastorales, bâtiments). L’exercice des droits d’usage est le fruit d’une gouvernance collective afin de satisfaire les besoins de tous (eau, chauffage, construction, alimentation).
Les communs favorisent le développement durable de diverses manières : l’aide aux agriculteurs, la cohésion sociale, les lieux d’activité, les services écosystémiques, la préservation de l’environnement. La France a signé de nombreux traités internationaux qui reconnaissent l’action des communautés locales en faveur du développement durable : la convention de l’Unesco concernant le patrimoine (1972), la déclaration de Rio (1992) ou la convention sur la diversité biologique (1992). De plus, en application de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, la France soutient les actions des communautés locales dans le monde entier pour les aider à protéger leur accès aux communs et faciliter une gestion durable des ressources. Enfin, le rôle des communautés a été promu par l'accord de Paris sur le climat (2015).
Sources d’inspiration
En revanche, au sein de ses frontières, il est paradoxal de constater que ces communs fonciers ne sont pas pris en considération, alors qu’ils sont au cœur du fonctionnement de la ruralité française et en forgent l’identité. Pendant que d’autres pays européens adaptent leur législation destinée à reconnaître les fonctions des communs (le Royaume- Uni en 2006, l’Italie en 2017), la France poursuit une politique de rationalisation administrative datée qui élimine ces formes de propriété collective. La loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 a interdit la création de nouvelles sections de commune et a porté atteinte à leur gestion par les communautés locales. Plus récemment, une proposition de loi a été déposée au Sénat en vue de favoriser la dissolution des sections de commune (proposition n° 182, 2019) sans qu’aucune réflexion n’ait été menée quant à leur apport aux territoires et aux populations.
« Les communautés usagères ont fait leur preuve en matière de gestion environnementale. »
Condamner ces systèmes avec l’argument simpliste qu’ils seraient une « forme dépassée » de propriété ou de gestion collective ne conduit pas à exprimer une politique d’avenir, surtout au moment où l’on cherche des moyens de répondre aux défis écologiques et sociaux. En regard de ces défis, ces pratiques sont des sources d’inspiration, car les communautés usagères ont fait leur preuve en matière de gestion environnementale (nombre de communaux sont concernés par des zones Natura 2000, des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, des APAC, ou situées dans des parcs naturels). En particulier, l’importance de leurs forêts apparaît comme une donnée majeure pour mener des actions d’intérêt général : production sylvicole, prévention des risques naturels ou constitution de puits de carbone pour lutter contre le changement climatique.
Les communs fonciers peuvent ainsi servir de modèle à une société en mal de solutions pour relever les défis écologiques, sociaux ou de santé. Lutter contre le réchauffement climatique ou restaurer la biodiversité nécessite de prendre des mesures aptes à impliquer divers acteurs (Etats, communautés locales). C’est pourquoi les communs peuvent notamment contribuer à la mise en œuvre des « autres mesures de conservation efficaces par zone » que la convention sur la diversité biologique soutient et que la France pilote.
En ne prenant pas en compte les communs fonciers dans l’action publique, la France se prive d’atouts pour remplir tant les objectifs de la transition écologique que ceux des accords internationaux qu’elle a signés.
Sont notamment signataires de cette tribune : Delphine Batho, ancienne ministre de l’écologie, présidente de Génération Ecologie, députée des Deux-Sèvres; Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne; Olivier Hymas, ayant droit de la section de commune de Mourex (Ain), anthropologue, université de Lausanne; Jean-François Joye, professeur de droit public, université Savoie-Mont-Blanc; Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement; Kristen Walker-Painemilla, membre de l’Union internationale pour la conservation de la nature; Gretchen Walters, ayant droit de la section de commune de Mourex (Ain), anthropologue, université de Lausanne. Retrouvez ici la liste complète des signataires.